Chapitre 14
1 Près de venir est son temps, et ses jours ne seront pas différés. Car le Seigneur aura pitié de Jacob, il fera encore choix d’Israël, et il les fera reposer dans leur terre; l’étranger se joindra à eux, et il s’attachera à la maison de Jacob.
Note : Is. 14, 1 : Son temps ; le temps de la ruine de Babylone. ― Ne seront pas différés ; c’est le sens du latin elongabuntur, expliqué par le texte hébreu. Comparer à Ezéchiel, 12, vv. 25, 28. ― Les ; c’est-à-dire les Israélites. ― L’étranger, etc. Au retour de la captivité de Babylone, beaucoup de gentils embrassèrent la religion des Juifs. Voir 2 Esdras, chapitre 10.
2 Et les peuples les prendront et les ramèneront en leur lieu ; et la maison d’Israël les possédera dans la terre du Seigneur comme serviteurs et comme servantes ; et ils prendront ainsi ceux qui les avaient pris; et ils soumettront leurs exacteurs.
Note : Is. 14, 2 : Les peuples, etc. Les livres d’Esdras contiennent le récit de l’accomplissement de cette prophétie.
3 Et il arrivera en ce jour-là, que lorsque le Seigneur t’aura donné du repos après ton travail, et après ton oppression, et après la dure servitude à laquelle tu as été auparavant assujetti ; 4 Tu emploieras cette parabole contre le roi de Babylone, et tu diras : Comment a cessé l’exacteur, et a discontinué le tribut?
Note : Is. 14, 4 : Cette parabole, en hébreu maschal, nom qui désigne une espèce de poème. Les versets 4b à 21 contiennent en effet une ode ou un chant poétique sur la chute du roi de Babylone. Ce chant peut se partager en cinq strophes : versets 4b à 8 ; 9 à 11 ; 12 à 15 ; 16 à 19 et 20 et 21. Les versets 22 et 23 peuvent être considérés comme un épilogue du poème. On regarde avec raison ce maschal comme un chef-d’oeuvre littéraire. « Que de beautés ! Si l’auteur n’était qu’un poète, je dirais que c’est son chef-d’oeuvre. Vous trouverez dans quelques autres chapitres autant et peut-être plus de richesses ; mais il n’en est aucun, ce me semble, où la grandeur de l’ordonnance réponde mieux à la majesté des détails. Ce n’est pas un simple morceau détaché ; ce n’est pas même une ode ; c’est un poème. Plus vous l’étudierez, plus vous verrez que rien n’y manque. » (Paroles mises par Bungener dans la bouche de Bossuet. )
5 Le Seigneur a brisé le bâton des impies, la verge des dominateurs, 6 Qui, dans son indignation, frappait des peuples d’une plaie incurable, qui, dans sa fureur, assujettissait des nations, qui les persécutait cruellement. 7 Toute la terre se repose et est en silence, elle est dans la joie et dans l’exultation; 8 Les sapins même et les cèdres du Liban se sont réjouis à ton sujet, disant : Depuis que tu dors, il ne monte personne qui nous abatte.
Note : Is. 14, 8 : Tu dors ; c’est-à-dire tu es mort. ― Personne qui nous abatte. Les vainqueurs signalaient ordinairement leur domination sur les provinces conquises en abattant les forêts. Comparer à Isaïe, 37, 24. ― Les arbres du Liban interviennent, parce que le roi de Babylone les avait fait couper pour construire son palais.
9 L’enfer au-dessous a été tout troublé au moment de ton arrivée, il t’a suscité les géants. Tous les princes de la terre se sont levés de leurs trônes, ainsi que tous les princes des nations.
Note : Is. 14, 9 : L’enfer, le scheôl, par une figure très hardie, est personnifié. ― Les géants sont la traduction de rephaïm qui, dans l’original, désigne les morts qui habitent dans le scheôl. Une race de géants est appelée aussi dans l’Ancien Testament rephaïm ; mais ici ce mot est appliqué aux trépassés, pour exprimer des êtres faibles et sans force, de la racine râfâh, « défaillir. » Les Rephaïm sont privés d’une partie de la force vitale ; ils ne sont cependant pas privés de toute force ni de tout sentiment.
10 Tous élèveront la voix, et te diront : Toi aussi tu as reçu des blessures comme nous, tu es devenu semblable à nous.
Note : Is. 14, 10 : Elèveront la voix ; vrai sens du respondebunt de la Vulgate expliqué par l’hébreu.
11 Ton orgueil a été précipité dans les enfers, ton cadavre est tombé par terre; au-dessous de toi la teigne formera ta couche , et ta couverture seront les vers.
Note : Is. 14, 11 : Ta couverture. Les tapis de Babylone étaient particulièrement renommés dans l’antiquité.
12 Comment es-tu tombé du ciel, lucifer qui dès le matin te levais? Comment as-tu été renversé sur la terre, toi qui faisais des blessures aux nations?
Note : Is. 14, 12 : Lucifer ; Nabuchodonosor, d’après les uns, Balthasar, suivant les autres, et Sennachérib, selon d’autres ; mais le plus grand nombre des Pères l’entend du démon, qui a voulu devenir semblable au Très-Haut. Jésus-Christ semble fait allusion à ce passage dans Luc, 10, 18. Comparer à Apocalypse, 12, 9. ― Comment es-tu tombé du ciel, Lucifer. Nous n’avons pas seulement ici une poésie d’un éclat incomparable ; nous avons encore des allusions aux croyances et aux coutumes babyloniennes. Le nom de Lucifer correspond à mustilil, le nom assyrien de l’étoile du matin. On sait que les Babyloniens adoraient les astres et étaient très adonnés à l’astronomie et à l’astrologie.
13 Qui disais dans ton coeur : Je monterai au ciel, sur les astres de Dieu j’élèverai mon trône; je m’assiérai sur la montagne du Testament, aux côtés de l’aquilon.
Note : Is. 14, 13 : La montagne du testament ; ou de l’alliance, c’est la montagne où était bâti le temple, dépositaire des tables de l’alliance que l’on conservait dans l’arche, au milieu du sanctuaire. ― Aux côtés de l’aquilon. Comparer à Psaumes, 47, 3. ― Selon une autre interprétation : Je m’assiérai sur la montagne de l’assemblée des dieux aux extrémités du nord, sur le mont Rowandiz, au nord-est de Babylone. Les Babyloniens considéraient cette montagne comme le séjour des dieux, le ciel. Les Sabéens de Harran se tournaient vers le nord pour prier.
14 Je monterai sur la hauteur des nues, je serai semblable au Très-Haut. 15 Mais cependant tu seras traîné dans l’enfer, au profond de la fosse ;
Note : Is. 14, 15-19 : De la fosse (laci) ; c’est-à-dire du tombeau. Comparer à Psaumes, 27, 1.
16 Ceux qui te verront se pencheront vers toi, et ils te considéreront et te diront : Est-ce là cet homme qui a troublé la terre, qui a ébranlé les royaumes; 17 Qui a fait de l’univers un désert, et a détruit ses villes, et à ses captifs n’a pas ouvert la prison? 18 Tous les rois des nations, tous se seront endormis dans la gloire, chacun dans sa maison. 19 Mais toi, tu as été jeté loin de ton sépulcre, comme un tronc inutile, et souillé, et enveloppé avec ceux qui ont été tués par le glaive et qui sont descendus au fond de la fosse comme un cadavre putréfié.
20 Tu n’auras pas même part avec eux à la sépulture, parce que c’est toi qui as détruit entièrement ta terre, toi qui as tué ton peuple; la race des méchants n’existera pas éternellement.
Note : Is. 14, 20 : N’existera pas ; littéralement, et par hébraïsme, ne sera pas appelé ; son nom ne sera pas prononcé.
21 Préparez ses enfants au massacre, à cause de l’iniquité de leurs pères ils ne s’élèveront pas, ils n’hériteront pas de la terre, et ils ne rempliront pas la face du globe de cités.
22 Et je m’élèverai contre eux, dit le Seigneur des armées, et je perdrai le nom de Babylone, et les restes, et le germe, et la race, dit le Seigneur.
Note : Is. 14, 22-23 : Le chant est fini. Ces deux versets étendent à toute la Babylonie le châtiment du roi de Babylone.
23 Et j’en ferai la possession du hérisson ; j’en ferai des marais d’eaux, et je la balayerai avec un balai en la raclant, dit le Seigneur des armées.
Note : Is. 14, 23 : Du hérisson, qui est commun à l’embouchure de l’Euphrate. Quelques modernes croient cependant qu’il s’agit ici, non du hérisson, mais du butor, qui abonde dans les marais pleins de joncs de l’Euphrate et dont le cri sourd a quelque chose de sinistre et de lugubre.
24 Le Seigneur des armées a juré, disant : Certainement, comme j’ai pensé, de même il en sera, et comme j’ai arrêté dans mon esprit,
Note : Is. 14, 24-27 : Prophétie contre les Assyriens.
25 Ainsi il arrivera; afin que je brise l’Assyrien dans ma terre, et que sur mes montagnes je le foule aux pieds, que son joug soit emporté loin d’eux, et que son fardeau soit enlevé de leur épaule.
Note : Is. 14, 25 : Ainsi il arrivera, etc. Voir, pour l’accomplissement de cette prophétie, 4 Rois, chapitre 19. ― Ma terre ; la Palestine. ― D’eux ; des Israélites.
26 C’est là le dessein que j’ai formé sur toute la terre, et c’est là la main étendue sur toutes les nations. 27 Car le Seigneur des armées l’a décrété; qui pourra infirmer son décret? et sa main est étendue, qui la détournera?
28 En l’année, à laquelle est mort le roi Achaz, a été faite cette prophétie accablante :
Note : Is. 14, 28-32 : Prophétie contre les Philistins. Vaincus sous Ozias, voir 2 Paralipomènes, 28, 5, ils étaient redevenus indépendants sous Achaz.
Note : Is. 14, 28 : Prophétie accablante (onus). Voir Isaïe, 13, 1. ― En l’année à laquelle est mort le roi Achaz (vérifier concordance) ; en 728 avant Jésus-Christ.
29 Ne te réjouis pas, toi terre entière de Palestine, de ce qu’a été brisée la verge de celui qui te frappait; car de la race du serpent sortira un basilic, et ce qui en naîtra dévorera l’oiseau.
Note : Is. 14, 29 : De la race du serpent, etc. Selon la plupart des Pères et des commentateurs, ce serpent est Achaz, et ce basilic Ezéchias ; mais Dom Calmet pense que le serpent marque Sennachérib, et le basilic, Asaraddon, parce que ces deux rois d’Assyrie firent la guerre aux Philistins, au temps d’Isaïe ; que le prophète, au verset 31, nous fait entendre le mal qu’il prédit viendra fondre sur les Philistins du côté de l’aquilon, ce qui signifie ordinairement la Chaldée ou l’Assyrie, et que la comparaison d’Ezéchias à un basilic ne lui paraît pas du style d’Isaïe. ― Terre entière de Palestine. Le mot Palestine désigne ici le pays des Philistins. ― Terre entière ; indique qu’il s’agit des cinq principautés que renfermait la Philistie.
30 Et les plus indigents seront nourris, et les pauvres reposeront avec confiance; et je ferai mourir ta racine, et tes restes, je les tuerai.
Note : Is. 14, 30 : Les plus indigents ; littéralement les premiers-nés des pauvres. Comparer, sur cet hébraïsme, à Job, 19, 13. Les Philistins furent frappés successivement par Sennachérib, Nabuchodonosor, Alexandre, et enfin par les Juifs aux temps des Machabées, depuis lesquels leur nom disparut.
31 Pousse des hurlements, porte ; crie, cité ; toute la Palestine a été renversée ; car c’est de l’aquilon que la fumée viendra ; et il n’est personne qui fuira son armée.
Note : Is. 14, 31 : Porte, cité ; c’est-à-dire grands, magistrats qui siégez à la porte de la ville, et vous, habitants de la cité. ― L’aquilon ou le septentrion désigne ordinairement l’Assyrie ou la Chaldée, situées au nord de la Palestine. ― La fumée et le feu désignent en plusieurs endroits de l’Ecriture, la guerre ou une armée. ― Qui fuira son armée ; qui ne voudra pas se joindre à son armée. C’est l’interprétation la plus simple et la plus conforme au texte hébreu.
32 Et que répondra-t-on aux messagers de la nation? Que c’est le Seigneur qui a fondé Sion, et qu’en lui espéreront les pauvres de son peuple.
Note : Is. 14, 32 : Aux messagers de la nation (gentis) ; ou bien des nations, en supposant, ce qui a lieu souvent surtout dans les noms collectifs, que le singulier est mis ici pour le pluriel ; et en supposant aussi qu’il est fait allusion à la coutume d’envoyer des messagers aux rois, pour les complimenter quand il leur arrivait quelque chose d’avantageux ou de fâcheux. ― Que c’est le Seigneur, etc. C’est la réponse que les envoyés de Sennachérib reçurent de Juda. Voir 4 Rois, chapitre 19 ( ? ).