Chapitre 5
1 Je chanterai à mon bien-aimé le cantique de mon proche parent à sa vigne. Une vigne a été acquise à mon bien-aimé, sur un sommet de montagne abondant en huile.
Note : Is. 5, 1-30 : ― 3° La parabole de la vigne, chapitre 5. ― La troisième prophétie d’Isaïe est contenue dans le chapitre 5. Elle commence par une belle parabole, qui nous décrit sous l’image très juste d’une vigne, plantée et cultivée par Dieu avec le plus grand soin, l’histoire même du peuple de Dieu. L’ingratitude et les crimes d’Israël arrachent au prophète des paroles indignées ; il menace les coupables et leur montre, en terminant, les vengeurs de leur maître outragé, sous la forme emblématique de chevaux, de lions, des mugissements de la mer et des ténèbres. Notre-Seigneur devait se servir plus tard de la même parabole pour reprocher aux Juifs leur infidélité. Voir Matthieu, 21, 33-43 ; Marc, 12, 1-10 ; Luc, 20, 9-16 ; Jérémie, 2, 21.
Note : Is. 5, 1 : Voir Jérémie, 2, 21. ― A mon bien-aimé ; c’est-à-dire, comme le montre la suite, Jésus-Christ, le bien-aimé de Dieu et des hommes. ― Une vigne ; la maison d’Israël (voir verset 7). ― Jésus-Christ emploie une parabole semblable en parlant des Juifs incrédules (voir Matthieu, 21, verset 33 et suivants). ― Un sommet de montagne ; littéralement et par hébraïsme, une corne, c’est-à-dire la partie d’une montagne la plus élevée, comme la corne est la partie la plus élevée de certains animaux. Les Arabes eux-mêmes emploient cette locution. ― Abondant en huile ; littéralement fils de l’huile (filio olei). En hébreu, le mot fils signifie aussi doué, possesseur de, et le terme huile s’applique à tous les corps gras, aux oliviers, aux figuiers, etc. Or, on sait que les meilleurs plants de vigne, dans la Palestine, sont sur des montagnes chargées d’oliviers et de figuiers.
2 Et il l’a environnée d’une haie, et il en a ôté les pierres, il y a mis un plant choisi, et il y a bâti une tour au milieu, et il y a construit un pressoir; et il a espéré qu’elle produirait des raisins et elle a produit des grappes sauvages.
Note : Is. 5, 2 : Une tour. Sous ce nom les Pères et les interprètes entendent le temple, et sous le terme de pressoir, l’autel des holocaustes. ― Une tour. « De nombreux enclos délimités par de petits murs en pierres sèches [dans les environs de Bethléhem et dans la plus grande partie de la Palestine] renferment presque tous à leur centre, soit debout, soit renversée, une de ces petites tours qui servaient autrefois, comme quelques-uns d’entre elles servent encore aujourd’hui, à protéger ces enclos à l’époque de la récolte. » ― Il l’a environné d’une haie et il en a ôté les pierres. « Par cette haie, il faut entendre ici un petit mur de séparation, construit avec les pierres retirées de l’enclos pour laisser place à la vigne, et hérissé en outre la plupart du temps de plantes épineuses. » ― Il y a construit un pressoir. On trouve en Palestine des pressoirs taillés dans le roc. « Dans les environs de Bethléhem, [on voit] trois ou quatre de ces pressoirs antiques, creusés dans le roc, et divisés soit en deux, soit en trois compartiments. » (V. GUERIN. )
3 Maintenant donc, habitants de Jérusalem, et hommes de Juda; soyez juges entre moi et ma vigne. 4 Qu’est-ce que j’ai dû faire de plus à ma vigne, que je ne lui ai pas fait? n’ai-je pas espéré qu’elle produirait des raisins, et elle a produit des grappes sauvages?
5 Et maintenant je vous montrerai ce que moi je ferai à ma vigne; j’enlèverai sa haie, et elle sera au pillage; je détruirai sa muraille, et elle sera foulée aux pieds.
Note : Is. 5, 5-6 : Les menaces faites dans ces versets furent accomplies à la lettre, lors de la désolation d’Israël par les Assyriens ; mais elles ont reçu un second accomplissement sur les Juifs incrédules, depuis la mort de Jésus-Christ.
6 Je la rendrai déserte; elle ne sera pas taillée, et elle ne sera pas labourée ; les ronces et les épines s’élèveront, et je commanderai aux nuées de ne pas répandre sur elle de pluie.
7 Car la vigne du Seigneur des armées est la maison d’Israël, et l’homme de Juda son germe délectable; et j’ai espéré qu’il rendrait un jugement, et voilà l’iniquité; qu’il rendrait la justice, et voilà le cri de l’opprimé.
8 Malheur à vous qui joignez maison à maison, et qui ajoutez un champ à un champ jusqu’à ce que le lieu vous manque; est-ce que vous seuls vous habiterez au milieu de la terre ? 9 Voici ce qui a été révélé à mes oreilles. Le Seigneur des armées dit : J’ai juré si des maisons nombreuses, élevées et belles ne seront pas désertes, sans habitant.
Note : Is. 5, 9 : Révélé ; mot très probablement sous-entendu ici, et exprimé dans un passage parallèle (voir Isaïe, 22, 14). ― Mes oreilles ; c’est-à-dire les oreilles du prophète (comparer au même passage). C’est le sens de l’hébreu, comme l’a justement remarqué saint Jérôme dans son Commentaire ; c’est aussi celui de la paraphrase chaldaïque, contrairement à la version des Septante. ― Si des maisons… ne seront pas ; c’est-à-dire qu’elles seront (Voir sur les formules de serment, Psaumes, 94, 11).
10 Car dix arpents de vignes rapporteront une seule petite bouteille, et trente mesures de semence produiront trois mesures.
Note : Is. 5, 10 : Dans l’hébreu : « Dix journées de travail de vigne, (l’étendue de vigne qu’on peut travailler en dix jours) produira un bath (de vin) et un homer de semence produira un épha de récolte. L’épha était la dixième partie d’un homer. Voir à la fin du volume, note 21, les mesures hébraïques.
11 Malheur à vous qui vous levez dès le matin pour vous abandonner à l’ivresse, et pour boire jusqu’à la nuit, afin que par le vin vous vous échauffiez.
Note : Is. 5, 11 : Le vin dont il est question ici est un vin artificiel, fait avec des dattes, des pommes, des grenades, du miel, de l’orge, et souvent mélangé d’aromates.
12 La harpe, et la lyre, et le tambour, et la flûte, et le vin se trouvent dans vos festins ; et l’oeuvre du Seigneur, vous n’y avez pas égard, et les ouvrages de ses mains, vous ne les considérerez pas. 13 C’est pour cela que mon peuple a été emmené captif, parce qu’il n’a pas d’intelligence; et que les nobles d’Israël ont péri de faim, et que la multitude de son peuple a séché par la soif.
Note : Is. 5, 13 : C’est pour cela, etc. Cette prophétie, qui se rapporte à la lettre à la captivité de Babylone, est un symbole de la dispersion des Juifs incrédules depuis la mort de Jésus-Christ ; et c’est à ceux-ci que saint Jérôme l’applique.
14 C’est pour cela que l’enfer a dilaté son âme, et qu’il a ouvert sa bouche d’une manière illimitée; et ses puissants, et son bas peuple, et ses grands, et ses hommes glorieux y descendront.
Note : Is. 5, 14 : Son âme ; hébraïsme, pour lui-même. ― L’enfer ; en hébreu : le scheôl, la demeure des morts.
15 Et l’homme du peuple s’inclinera, et l’homme de condition sera humilié, et les yeux des superbes s’abaisseront. 16 Et le Dieu des armées sera exalté à cause de son jugement: et le Dieu saint sera sanctifié à cause de sa justice.
Note : Is. 5, 16 : Sera sanctifié ; reconnu pour saint, loué comme saint.
17 Et les agneaux paîtront à leur ordinaire, et dans les déserts devenus fertiles, des étrangers trouveront leur nourriture.
18 Malheur à vous qui tirez l’iniquité avec les cordes de la vanité, et le péché comme les traits d’un chariot; 19 Qui dites : Qu’il se hâte, et que son oeuvre vienne bientôt, afin que nous la voyions; et qu’il s’approche et qu’il vienne, le décret du saint d’Israël, et nous le connaîtrons !
Note : Is. 5, 19 : Qu’il ; c’est-à-dire Dieu, dont il s’agit dans tout ce verset. ― Son oeuvre ; ce qu’il prétend faire, ce dont il nous menace depuis longtemps. On trouve dans plusieurs autres prophètes de pareilles insolences dites par les Juifs.
20 Malheur à vous qui appelez le mal bien, et le bien mal ; qui donnez les ténèbres pour la lumière, et la lumière pour les ténèbres; qui donnez l’amer pour le doux et le doux pour l’amer!
21 Malheur à vous qui êtes sages à vos yeux, et qui êtes prudents vis-à-vis de vous-mêmes!
Note : Is. 5, 21 : Voir Proverbes, 3, 7 ; Romains, 12, 16.
22 Malheur à vous qui êtes puissants à boire le vin, et des hommes vaillants à mêler des boissons enivrantes;
Note : Is. 5, 22 : Mêler des boissons enivrantes. Voir, plus haut, verset 11.
23 Qui justifiez l’impie pour des présents, et ravissez au juste sa propre justice!
24 A cause de cela, comme une langue de feu dévore la paille, et comme la chaleur de la flamme la brûle entièrement, ainsi leur racine sera comme de la cendre embrasée, et leur germe s’élèvera comme de la poussière. Car ils ont rejeté la loi du Seigneur des armées, et ils ont blasphémé la parole du saint d’Israël.
Note : Is. 5, 24 : Langue de feu ; signifie flamme. Comparer à Actes des Apôtres, 2, 3.
25 C’est pour cela qu’a été irritée la fureur du Seigneur contre son peuple; et qu’il a étendu sa main sur lui, et qu’il l’a frappé; que les montagnes ont été ébranlées, et que leurs cadavres sont devenus comme la boue sur les places publiques. Au milieu de tous ces maux, sa colère ne s’est point détournée, mais sa main a été encore étendue.
26 Et il élèvera son étendard au loin parmi les nations ; et il sifflera pour l’appeler des confins de la terre ; et voici qu’en grande hâte il viendra promptement.
Note : Is. 5, 26 : Il sifflera, etc. ; littéralement il sifflera vers lui (sibilabit ad eum). Le pronom lui peut se rapporter à ennemi (hostem), ou à armée (exercitum), ou bien encore à peuple (populum) sous-entendu. L’hébreu offre la même amphibologie ; mais le grec porte à elles, c’est-à-dire aux nations ; ce qui fait disparaître toute difficulté. Plusieurs Pères prétendent que ce sifflement est une allusion aux gardes des mouches à miel qui les font venir de leurs ruches dans la campagne au son du sifflet, et les ramènent de la même manière, lorsque la nuit approche. Cette explication semble confirmée par ce que dit Isaïe lui-même un peu plus bas (voir Isaïe, 7, 18). Le sujet des verbes il élèvera, il sifflera est le Seigneur, nommé au verset précédent ; mais celui de il viendra, est l’ennemi, ou l’armée, ou le peuple appelé par le sifflement du Seigneur.
27 Il n’y a dans lui ni de défaillant ni de fatigué ; il ne sommeillera ni ne dormira; la ceinture de ses reins ne se déliera pas, ni la courroie de sa chaussure ne se rompra.
Note : Is. 5, 27 : La ceinture, etc. ; celle qu’on portait dans les voyages. ― Ne pas délier la ceinture, c’est donc être toujours en marche.
28 Ses flèches sont aiguës, et tous ses arcs bandés. La corne de leurs chevaux est comme un caillou; et ses roues comme l’impétuosité de la tempête.
Note : Is. 5, 28 : Ses roues ; les roues de ses chariots. ― La corne de leurs chevaux est comme un caillou. Les anciens ne ferraient pas les chevaux. Ceux de ces animaux qui avaient le sabot très dur, qui avaient « des pieds d’airain », comme dit Homère, étaient par là même particulièrement estimés.
29 Son rugissement est comme celui du lion; il rugira comme les petits des lions ; et il frémira; et il saisira sa proie et il l’étreindra, et il n’y aura personne qui puisse la lui arracher. 30 Et un bruit se fera entendre sur lui en ce jour-là, comme le bruit de la mer; nous regarderons sur la terre, et voilà les ténèbres de la tribulation ; et la lumière a été couverte de ténèbres par sa profonde obscurité
Note : Is. 5, 30 : Sa profonde obscurité. Le pronom sa se rapporte au mot tribulation, qui, comme l’affliction, la misère, la calamité, est ordinairement représentée dans l’Ecriture sous l’emblème d’une nuit sombre et ténébreuse.