Chapitre 31
1 J’ai fait un pacte avec mes yeux pour ne pas même penser à une vierge.
Note : Job 31, 1 : IIIe partie du XIe discours de Job : Conscience de son innocence, chapitre 31. ― Du moins sa conscience est-elle pour lui. ― 1° Il ne s’est jamais abandonné à ses passions, versets 1 à 12 ; ― 2° il ne s’est jamais servi de sa force pour traiter injustement les faibles, versets 13 à 23 ; ― 3° il n’a jamais été arrogant, comme on le lui a reproché, ni envers Dieu ni envers les hommes, versets 24 à 40.
2 Car autrement quelle part d’en haut aurait Dieu pour moi, et quel héritage des cieux, le Tout-Puissant? 3 Est-ce que la ruine n’est pas pour le méchant, et l’aliénation des héritages pour ceux qui opèrent l’injustice ? 4 Dieu ne considère-t-il pas mes voies, et tous mes pas, ne les compte-t-il point?
5 Si j’ai marché dans la vanité ; si mon pied s’est hâté dans la ruse ; 6 Que Dieu me pèse dans une balance juste, et qu’il connaisse ma simplicité.
Note : Job 31, 6 : Ma simplicité ; c’est-à-dire ma droiture, mon innocence.
7 Que si mon pas s’est détourné de la voie, et si mon coeur a suivi mes yeux, et si à mes mains s’est attachée quelque souillure ;
Note : Job 31, 7 : La voie droite, juste.
8 Que je sème et qu’un autre mange, et que ma race soit arrachée jusqu’à la racine.
9 Si mon coeur a été séduit au sujet d’une femme, et si à la porte de mon ami j’ai dressé des embûches ; 10 Que ma femme soit la prostituée d’un autre, et que d’autres la déshonorent. 11 Car l’adultère est un crime énorme, et une iniquité très grande.
Note : Job 31, 11 : L’adultère ; littéralement Cela (hoc), ce dont Job vient de parler. Or c’est l’adultère qu’il a désigné dans les deux versets précédents.
12 C’est un feu qui dévore jusqu’à la perdition, et qui extirpe toutes les productions.
Note : Job 31, 12 : Jusqu’à la perdition. Le terme hébreu abaddôn signifie aussi le lieu de perdition, l’enfer. Comparer à Job, 26, 6. ― L’adultère est effectivement une vraie flamme qui dévore et les richesses, et la réputation, et les qualités les plus excellentes du corps et de l’âme. L’adultère extirpe encore toutes les productions, c’est-à-dire toute la race ou les enfants légitimes.
13 Si j’ai dédaigné d’aller en jugement avec mon serviteur et ma servante, lorsqu’ils disputaient contre moi.
Note : Job 31, 13 : Ici commence une suite de phrases conditionnelles entrecoupées de parenthèses que nous avons cru devoir marquer du signe ordinaire, comme on l’a fait dans le latin, au verset 18, pour faciliter l’intelligence du texte. C’est au verset 22 que se trouve la conclusion de ces phrases. ― Si j’ai dédaigné, etc. Les esclaves régulièrement n’avaient pas d’action contre leur maître, en public devant les juges ; le maître avait sur eux un droit absolu ; mais en particulier, les esclaves pouvaient se plaindre ; et il était de l’équité de leur maître d’écouter leurs humbles remontrances et de leur faire justice.
14 (Car que ferai-je, lorsque Dieu se lèvera pour me juger? et lorsqu’il m’interrogera, que lui répondrai-je? 15 N’est-ce pas celui qui m’a fait dans le sein de ma mère, qui l’a fait lui aussi, et le même qui m’a formé en elle ? )
16 Si j’ai refusé aux pauvres ce qu’ils voulaient, et si j’ai fait attendre les yeux de la veuve ; 17 Si j’ai mangé seul ma bouchée de pain, et si le pupille n’en a pas mangé aussi :18 (Car dès mon enfance la compassion a crû avec moi, et du sein de ma mère elle est sortie avec moi. )
19 Si j’ai détourné mes yeux de celui qui mourait, parce qu’il n’avait pas de quoi se couvrir, et du pauvre qui était sans vêtement; 20 Si ses flancs ne m’ont pas béni, et s’il n’a pas été réchauffé par les toisons de mes brebis :21 Si j’ai levé ma main contre un orphelin, même lorsque je me voyais supérieur à la porte de la ville :
Note : Job 31, 21 : A la porte de la ville ; c’était là qu’étaient placés les tribunaux et que se tenaient les assemblées du peuple.
22 Que mon épaule tombe séparée de sa jointure, et que mon bras avec tous mes os soit entièrement brisé :23 Car j’ai toujours craint Dieu comme des îlots soulevés au-dessus de moi, et je n’ai pu supporter le poids de sa majesté.
Note : Job 31, 23 : Ce verset et les suivants sont encore des phrases conditionnelles entremêlées de parenthèses, dont le sens est suspendu, jusqu’au verset 35, qui leur sert de conclusion.
24 Si j’ai pris l’or pour ma force, et si j’ai dit à l’or affiné : Tu es ma confiance :25 Si je me suis livré à l’allégresse à cause de mes abondantes richesses, et parce que ma main a trouvé des biens en très grand nombre ; 26 Si j’ai vu le soleil, lorsqu’il brillait de son vif éclat, et la lune marchant dans son clair, 27 Et si mon coeur s’est livré à la joie en secret, et si j’ai baisé ma main de ma bouche ;
Note : Job 31, 27 : Les peuples anciens qui adoraient les astres, étendaient ordinairement la main vers eux et la portaient ensuite à leur bouche pour la baiser.
28 Ce qui est une iniquité très grande, et nier le Dieu très haut :
29 Si je me suis réjoui de la ruine de celui qui me haïssait, et si j’ai bondi de joie de ce que le malheur l’avait atteint :30 (Car je n’ai pas permis à ma bouche de pécher en cherchant à maudire son âme. )
31 Si les hommes de ma tente n’ont pas dit : Qui nous donnera de nous rassasier de sa chair?
Note : Job 31, 31 : Qui nous donnera… de sa chair ? Les uns entendent de la chair de l’ennemi de Job, les autres de la propre chair de Job, ou supposant que ses serviteurs étant très mécontents de lui, parce qu’il rendait leur service trop pénible et trop fatigant en pratiquant l’hospitalité envers tout le monde et en tenant dans sa maison une discipline trop sévère, exprimaient ainsi leur mécontentement, ou ne voyant dans ces mots que l’expression d’un sentiment si tendre et d’un si vif attachement pour leur maître, qu’ils auraient, pour ainsi dire, souhaité de le manger ; expression analogue à dévorer des yeux, manger de caresses, etc. Quoi qu’il en soit de ces diverses interprétations, Job a voulu dire que, lorsqu’il était excité à la vengeance même par les gens de sa maison, il n’a pas cédé à ce sentiment.
32 (L’étranger en effet n’est pas resté dehors; ma porte a toujours été ouverte au voyageur. )
33 Si comme homme, j’ai tenu mon péché secret, et si j’ai caché dans mon sein mon iniquité;
Note : Job 31, 33 : Comme homme, est le texte même de la Vulgate : Quasi homo. On prend généralement le mot homme pour un nom collectif, et on traduit : Comme le font ordinairement les hommes. L’hébreu pouvait signifier Comme Adam, le chaldéen ayant traduit ainsi, plusieurs habiles interprètes, soit catholiques, soit protestants, ont adopté ce sens, qui paraît d’ailleurs parfaitement conforme au texte.
34 Si j’ai été saisi d’effroi à cause de la grande multitude, et si le mépris de mes reproches m’a épouvanté, et si je ne me suis pas plutôt tenu dans le silence, sans sortir de ma porte :
35 Qui me donnera quelqu’un qui m’entende, afin que le Tout-Puissant écoute mon désir, et que celui qui juge, écrive lui-même un livre,
Note : Job 31, 35-36 : Un livre, contenant sa sentence. ― Celui qui juge ; le juge par excellence, le juge suprême, Dieu. Après avoir exposé son innocence, Job demande à son souverain juge qu’il daigne prononcer et écrire sa sentence, parce que, loin de craindre qu’elle ne lui soit défavorable, il la portera au contraire comme un trophée et s’en parera comme d’un ornement précieux.
36 Afin que sur mon épaule je porte ce livre, et que je le mette comme une couronne autour de ma tête?
Note : Job 31, 36 : Sur mon épaule. Chez les Hébreux, comme chez plusieurs autres peuples de l’antiquité, les princes et les grands portaient sur leurs épaules les marques de leurs dignités. Voir Isaïe, 9, 6 ; 22, 22.
37 A chacun de mes pas j’en prononcerai les paroles, et je le présenterai comme à un prince.
Note : Job 31, 37 : Comme à un prince ; comme un présent digne d’un prince ; selon d’autres : comme à mon prince ; ce qui est s’écarter du texte. L’hébreu porte littéralement Comme un prince je le présenterai ; ce que l’on explique ainsi : Je donnerai ce livre à lire qui voudra, avec la même assurance, la même hardiesse qu’un prince qui présente les titres de sa qualité, qui prononce une sentence ou qui donne ses ordres.
38 Si la terre qui m’appartient crie contre moi, et que ses sillons pleurent avec elle ; 39 Si j’ai mangé ses fruits sans argent, et si j’ai affligé l’âme de ses cultivateurs :
Note : Job 31, 39 : Sans argent, sans les payer.
40 Qu’au lieu de blé il me naisse des ronces, et au lieu d’orge, des épines.
Note : Job 31, 40 : Les paroles de Job sont finies ; c’est-à-dire ses paroles à ses amis ; il ne leur parle plus, en effet, dans la suite, il répond seulement à Dieu, qui intervient pour terminer le différend.