Chapitre 21
1 Mais, répondant. Job dit :
Note : Job 21, 1 : VIIe discours de Job ; IIe réponse à Sophar, chapitre 21. Job s’est principalement attaché, dans ses discours précédents, à convaincre ses amis de son innocence ; ne pouvant y réussir, il se tourne maintenant contre eux, et, abandonnant le terrain de la justification personnelle pour se jeter sur celui des principes, il attaque leur thèse en elle-même ; il ne se borne plus à leur dire qu’ils la proposent d’une manière trop générale et qu’ils lui en font une fausse application, il la nie. ― 1° Il va leur donner une réponse décisive ; ils cesseront ainsi de le railler, versets 2 à 4. ― 2° C’est le contraire de ce qu’ils affirment qui est la vérité : beaucoup d’impies sont heureux sur la terre, versets 5 à 15. ― 3° Toute leur argumentation contre ce fait d’expérience est sans force ; ce serait orgueil de leur part que de le nier et de vouloir tracer à Dieu la voie qu’il doit suivre, versets 16 à 26. ― 4° Il sent bien les applications malignes que renferment leurs discours, mais leurs affirmations sont démenties par l’expérience, versets 27 à 34.
2 Ecoutez, je vous prie, mes paroles, et faites pénitence. 3 Supportez-moi, et moi je parlerai ; et après, si bon vous semble, riez de mes paroles. 4 Est-ce contre un homme qu’est ma dispute, pour que je ne doive pas être justement contristé ?
Note : Job 21, 4 : N’ai-je pas un juste sujet d’être contristé, quand je n’ai pas affaire à un homme, mais à Dieu, qui par les maux dont il m’accable semble autoriser les accusations de mes ennemis ?
5 Regardez-moi, et soyez dans l’étonnement, et mettez un doigt sur votre bouche :
Note : Job 21, 5 : Soyez dans l’étonnement. La chose étonnante dont va parler Job, c’est, selon la plupart des commentateurs modernes, la prospérité des méchants sur la terre. Saint Jérôme pense, et avec plus de raison, ce semble, qu’il s’agit du bonheur que Dieu accorde indistinctement aux méchants et aux bons, sans mettre entre eux aucune différence sensible et apparente.
6 Et moi, quand je recueille mes souvenirs, je suis épouvanté, et le tremblement agite ma chair. 7 Pourquoi donc les impies vivent-ils, sont-ils élevés et affermis dans les richesses?
Note : Job 21, 7 : Voir Jérémie, 12, 1 ; Habacuc, 1, vv. 3, 13.
8 Leur race se perpétue devant eux, une troupe de leurs proches et de leurs petits enfants est en leur présence. 9 Leurs maisons sont sûres et paisibles, et la verge de Dieu n’est pas sur eux. 10 Leur génisse a conçu et n’a pas avorté ; leur vache a mis bas, et elle n’a pas été privée de son fruit. 11 Leurs petits enfants, sortent comme les troupeaux, et leurs enfants sautent de joie au milieu de leurs jeux. 12 Ils tiennent en main un tambour et une harpe, et ils se réjouissent au son d’un orgue.
Note : Job 21, 12 : Orgue ; instrument qui, chez les anciens Hébreux, était un composé de plusieurs tuyaux de flûte collés ensemble, et dont on jouait en faisant passer successivement ces divers tuyaux le long de la lèvre d’en bas. On considère assez généralement ici le mot Organum de la Vulgate comme un collectif et on le traduit par des instruments de musique. ― Une harpe, en hébreu, kinnor, instruments à cordes, sorte de harpe.
13 Ils passent leurs jours dans le bonheur, et en un moment ils descendent dans les enfers.
Note : Job 21, 13 : En un moment ils descendent dans les enfers. Ils sont heureux jusqu’à la fin de leur vie, mais la mort met brusquement un terme à leur félicité et les remplit d’épouvante en les précipitant dans le scheôl.
14 Ils ont dit à Dieu : Retire-toi de nous ; nous ne voulons pas connaître tes voies. 15 Qui est le Tout-Puissant, pour que nous le servions? et que nous revient-il, si nous le prions ?
Note : Job 21, 15 : Voir Malachie, 3, 14.
16 Mais cependant, puisque leurs biens ne sont pas en leur main, que le conseil des impies soit loin de moi.
Note : Job 21, 16 : En leur main ; c’est-à-dire ne leur puissance. ― J’avoue que les méchants sont souvent heureux, mais leur bonheur n’est pas sûr, aussi à Dieu ne plaise que j’ai leurs sentiments.
17 Combien de fois la lampe des impies s’éteindra, un déluge de maux leur surviendra, et Dieu leur distribuera les douleurs de sa fureur? 18 Ils seront comme des pailles à la face du vent, et comme de la cendre brûlante qu’un tourbillon disperse.
19 Dieu gardera à ses fils la douleur du père; et lorsqu’il lui aura rendu selon son mérite, alors il comprendra.
Note : Job 21, 19 : Alors il comprendra qu’il y a une souveraine justice qui rendra à chacun selon ses mérites.
20 Ses yeux verront sa ruine, et il boira de la fureur du Tout-Puissant.
Note : Job 21, 20 : Ses yeux, etc. Il verra de ses propres yeux sa ruine entière ; littéralement son meurtre.
21 Car que lui importe sa maison après lui, lors même que le nombre de ses mois serait diminué de moitié?
Note : Job 21, 21 : Lors même, ou bien et si, c’est-à-dire que lui importe encore, si le nombre, etc. Le verset est susceptible de cette double analyse.
22 Est-ce que quelqu’un enseignera la science à Dieu, qui juge ceux qui sont élevés?
Note : Job 21, 22 : Ceux qui sont élevés ; les grands de la terre, selon les uns, les habitants du ciel, selon les autres. Le terme hébreu est, comme celui de la Vulgate, susceptible de ces deux sens. Les Septante ont traduit phonous, c’est-à-dire meurtres ; mais il y a des exemplaires qui portent sohous ou sages.
23 Celui-ci meurt robuste et sain, riche et heureux. 24 Ses entrailles sont pleines de graisse, et ses os sont arrosés de moelle. 25 Mais un autre meurt dans l’amertume de l’âme, sans aucune richesse. 26 Et cependant ils dormiront ensemble dans la poussière, et des vers les couvriront.
27 Certes, je connais vos pensées et vos jugements iniques contre moi. 28 Car vous dites : Où est la maison d’un prince? et où sont les tabernacles des impies?
Note : Job 21, 28 : Où est la maison, etc. La maison d’un mauvais prince et les tabernacles des impies ne subsistent plus, parce que c’étaient des méchants que Dieu a fait périr. Ainsi, c’est parce que tu es méchant que Dieu t’a traité comme eux.
29 Interrogez le premier venu des passants, et vous reconnaîtrez qu’il comprend ces mêmes choses ; à savoir :30 Que le méchant est réservé pour le jour de perdition, et qu’il sera conduit jusqu’au jour de la fureur.
Note : Job 21, 30 : Ce verset renferme la réponse des passants, c’est-à-dire des voyageurs étrangers.
31 Qui le reprendra en face de sa voie? et qui lui rendra ce qu’il a fait? 32 Il sera conduit aux sépulcres, et il veillera au milieu du monceau des morts.
Note : Job 21, 32 : Il veillera ; il vivra encore en quelque sorte à la faveur d’un mausolée fastueux qui conservera sa mémoire parmi les hommes ; ou bien il vivra en enfer parmi les morts.
33 Il a été agréable au gravier du Cocyte, et il entraînera tout homme après lui, et il y a devant lui une multitude innombrable.
Note : Job 21, 33 : Il a été agréable au gravier du Cocyte, tant par la magnificence du tombeau qu’il s’y est fait élever que par la majesté de la pompe funèbre qui l’a accompagné. ― Le Cocyte, fleuve fabuleux, qui selon les poètes païens arrose l’enfer. Saint Jérôme a donc pu employer ce mot pour désigner le lieu où l’impie est précipité à sa mort, comme il a employé après saint Pierre le terme Tartare pour exprimer la même idée. Comparer à 2 Pierre, 2, 4. ― Le texte original porte : « Les pierres de la vallée (où il est enseveli) lui sont légères, et tous les hommes y vont à sa suite, comme de nombreuses générations l’y ont précédé. »
34 Comment donc me donnez-vous une vaine consolation, puisqu’il a été démontré que votre réponse répugne à la vérité.